Comme prévu, voici la suite du précédent billet "Le ♥ d'Amour épris du bon Roi René"
Le Livre du Cuer d'Amours Espris (en français moderne Le Cœur épris d'Amour) est le second livre écrit par René d'Anjou après le décès d'Isabelle de Lorraine, sa première épouse, le premier étant Le Mortifiement de Vaine Plaisance. Deux manuscrits qui se rejoignent par leur conclusion pessimiste concernant les affaires de cœur.
Avant de poursuivre, un petit retour en arrière sur l'union de René d'Anjou et d'Isabelle de Lorraine aidera à mieux cerner le contexte dans lequel se déroulèrent les "histoires de Cœur" du bon Roi René.
Tapisserie des cœurs dans la chambre de Vénus (détail) Le Livre du Cuer d'Amours Espris enlumineur inconnu - vers 1480 Bibliothèque Nationale, Paris (voir la page) |
Le Livre du Cuer d'Amours Espris (en français moderne Le Cœur épris d'Amour) est le second livre écrit par René d'Anjou après le décès d'Isabelle de Lorraine, sa première épouse, le premier étant Le Mortifiement de Vaine Plaisance. Deux manuscrits qui se rejoignent par leur conclusion pessimiste concernant les affaires de cœur.
L'âme dirigée à l'aveuglette par les sens (détail) illustration de Jean Colombe pour Le Mortifiement de Vaine Plaisance Fondation Martin Bodmer, Genève (lire la notice) Feuilleter l'intégralité du manuscrit numérisé |
Avant de poursuivre, un petit retour en arrière sur l'union de René d'Anjou et d'Isabelle de Lorraine aidera à mieux cerner le contexte dans lequel se déroulèrent les "histoires de Cœur" du bon Roi René.
Au Moyen-Âge, le mariage étant avant tout l'union de deux patrimoines, les enfants n'avaient pas leur mot à dire. Dans tous les cas, il s'agissait d'un mariage de raison arrangé par les parents, de manière à avantager les deux familles en agrandissant leur territoire ou en augmentant leur influence. Pour les enfants des familles princières, le mariage était une véritable affaire de stratégie politique.
Mariage de Girard de Roussillon avec Berthe de Tour en 843 Artiste inconnu, vers 1450 manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne, Vienne (notice) |
À l'époque du mariage de René d'Anjou, le Royaume de France était loin de ressembler géographiquement à l'hexagone de la France d'aujourd'hui (voir l'évolution du territoire français grâce à cette animation).
En 1420, lorsque Yolande d'Aragon marie son fils René, qui n'a pas encore atteint sa douzième année, avec Isabelle de Lorraine alors âgée de 10 ans, c'est avant tout pour adjoindre le duché de Lorraine à celui d'Anjou.
Difficile à notre époque d'imaginer ce que fut la vie conjugale au lendemain de leurs noces pour des enfants tels que René et Isabelle, considérés en ce Moyen-Âge finissant comme des adolescents. Jean II de Lorraine, leur premier enfant, est venu au monde en 1426 alors qu'Isabelle était dans sa seizième année.
Après cette première naissance, Isabelle mit un nouvel enfant au monde chaque année jusqu'en 1431 (en 1428 ce furent des jumeaux). Puis, au retour de l'absence de René, retenu prisonnier à Dijon par le Duc de Bourgogne, vinrent s'ajouter deux filles : l'une en 1436, l'autre en 1437.
Ensuite, de vingt-sept ans jusqu'à sa mort à l'âge de quarante trois ans, Isabelle précédemment si féconde devint tout à coup stérile...
Pour tenter d'expliquer pourquoi Isabelle de Lorraine ne fut plus enceinte après 1437, plusieurs hypothèses sont envisageables. Soit Isabelle a été obligée de s'abstenir de relation avec son époux pour raison de santé, soit René l'a purement et simplement délaissée pour une autre (d'autres ?) femme(s). Cependant, la seconde supposition ne cadre guerre avec l'amour que René a toujours affirmé avoir pour Isabelle.
Si la première hypothèse est la bonne, à savoir qu'une nouvelle grossesse aurait mis la vie d'Isabelle en danger, la seconde a pu en découler par voie de conséquence naturelle. En 1437, le roi n'avait que vingt-huit ans. On peut donc comprendre que, malgré les sentiments qu'il avait pour sa femme, il n'ait pas fait vœu de chasteté pour le restant de ses jours.
Quoi qu'il en soit, il est de notoriété publique que René d'Anjou a eu des enfants adultérins.
En 1438, une certaine demoiselle provençale (femme de la noblesse dont le nom n'a jamais été divulgué) donna naissance à Blanche d'Anjou. Plus tard, c'est peut-être à Apt (chez le gentilhomme d'Albertas qui reçut le comte de Provence avec faste, lors de son séjour dans cette ville provençale en 1452) que René d'Anjou rencontra la jeune femme qui allait devenir la mère de ses trois autres enfants, nés hors mariage et néanmoins reconnus par lui.
Dans "Le roi René, sa vie, son administration", Albert Lecoy de la Marche relate (p. 262-263) la fin d'Isabelle de Lorraine. Plus loin dans le livre, l'auteur évoque l'infidélité de René, écrivant "il avait le cœur trop sensible aux attraits des femmes." (lire ici le bas de la p. 432). Dans les pages suivantes (433-434) il est question des enfants légitimes et des enfants adultérins de René d'Anjou.
Dans le prologue du Livre du Cuer d'Amours Espris (adressé à son neveu Jean II duc de Bourbon), René indique qu'il va évoquer « par paraboles » ses propres tourments amoureux.
Le roman du Cuer d'Amours Espris est (comme cela a été vu dans le billet précédent) le récit d'un rêve, dans lequel René s'identifie au dormeur.
En 1420, lorsque Yolande d'Aragon marie son fils René, qui n'a pas encore atteint sa douzième année, avec Isabelle de Lorraine alors âgée de 10 ans, c'est avant tout pour adjoindre le duché de Lorraine à celui d'Anjou.
Difficile à notre époque d'imaginer ce que fut la vie conjugale au lendemain de leurs noces pour des enfants tels que René et Isabelle, considérés en ce Moyen-Âge finissant comme des adolescents. Jean II de Lorraine, leur premier enfant, est venu au monde en 1426 alors qu'Isabelle était dans sa seizième année.
Après cette première naissance, Isabelle mit un nouvel enfant au monde chaque année jusqu'en 1431 (en 1428 ce furent des jumeaux). Puis, au retour de l'absence de René, retenu prisonnier à Dijon par le Duc de Bourgogne, vinrent s'ajouter deux filles : l'une en 1436, l'autre en 1437.
Ensuite, de vingt-sept ans jusqu'à sa mort à l'âge de quarante trois ans, Isabelle précédemment si féconde devint tout à coup stérile...
Enfantement - Les Grandes Heures de Rohan Maître de Rohan, Angers, vers 1430 livre d'heures ayant appartenu à la mère de René d'Anjou Ms. Latin 9471, BNF (fiche) |
Pour tenter d'expliquer pourquoi Isabelle de Lorraine ne fut plus enceinte après 1437, plusieurs hypothèses sont envisageables. Soit Isabelle a été obligée de s'abstenir de relation avec son époux pour raison de santé, soit René l'a purement et simplement délaissée pour une autre (d'autres ?) femme(s). Cependant, la seconde supposition ne cadre guerre avec l'amour que René a toujours affirmé avoir pour Isabelle.
Isabelle de Lorraine
(d'après une miniature du Livre d'heures de René d'Anjou)
(d'après une miniature du Livre d'heures de René d'Anjou)
Si la première hypothèse est la bonne, à savoir qu'une nouvelle grossesse aurait mis la vie d'Isabelle en danger, la seconde a pu en découler par voie de conséquence naturelle. En 1437, le roi n'avait que vingt-huit ans. On peut donc comprendre que, malgré les sentiments qu'il avait pour sa femme, il n'ait pas fait vœu de chasteté pour le restant de ses jours.
Quoi qu'il en soit, il est de notoriété publique que René d'Anjou a eu des enfants adultérins.
Le roi David en prière après son adultère avec Bethsabée Maître de Marie de Bourgogne - 1477 |
En 1438, une certaine demoiselle provençale (femme de la noblesse dont le nom n'a jamais été divulgué) donna naissance à Blanche d'Anjou. Plus tard, c'est peut-être à Apt (chez le gentilhomme d'Albertas qui reçut le comte de Provence avec faste, lors de son séjour dans cette ville provençale en 1452) que René d'Anjou rencontra la jeune femme qui allait devenir la mère de ses trois autres enfants, nés hors mariage et néanmoins reconnus par lui.
Dans "Le roi René, sa vie, son administration", Albert Lecoy de la Marche relate (p. 262-263) la fin d'Isabelle de Lorraine. Plus loin dans le livre, l'auteur évoque l'infidélité de René, écrivant "il avait le cœur trop sensible aux attraits des femmes." (lire ici le bas de la p. 432). Dans les pages suivantes (433-434) il est question des enfants légitimes et des enfants adultérins de René d'Anjou.
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Dans le prologue du Livre du Cuer d'Amours Espris (adressé à son neveu Jean II duc de Bourbon), René indique qu'il va évoquer « par paraboles » ses propres tourments amoureux.
Le roman du Cuer d'Amours Espris est (comme cela a été vu dans le billet précédent) le récit d'un rêve, dans lequel René s'identifie au dormeur.
(pour plus de facilité, à partir d'ici les noms sont transcrits en français moderne)
À peine le roi René est-il entré dans le sommeil, qu'Amour s'approche du lit et lui retire le cœur de la poitrine pour le livrer à Désir.
1 |
À la suite de cette opération magique, après avoir été armé par Désir, René devient le chevalier Cœur.
Désir explique alors à Cœur qu'il doit se faire un devoir d'aller délivrer Douce-Merci, la dame de ses pensées, retenue prisonnière par Danger dans le manoir de Rébellion.
Sans perdre un instant, Cœur, accompagné de Désir, se met aussitôt en route, impatient d'atteindre le but de sa quête.
Après avoir longuement cheminé sans rencontrer personne, voilà que les deux compagnons de voyage parviennent à l'orée d'une grande forêt où, sur un pré verdoyant et à l'ombre d'un très beau pin, il découvrent un pavillon tendu de riches tissus merveilleusement décorés. C'est là que demeure dame Espérance.
2 |
Dans la miniature ci-dessus (illustrant le manuscrit du Livre du Cœur d'Amour épris conservé à Vienne), Barthélemy d'Eyck a représenté Cœur en armure, monté sur un cheval caparaçonné d'un tissu couvert de cœur ailés et arborant lui-même sur son heaume un cœur aux ailes fièrement dressées. Désir se tient à côté de lui, tout de blanc vêtu.
Penché sur son cheval, Cœur est occupé à déchiffrer le message gravé sur la colonne
de marbre placée à l'entrée de la tente de dame Espérance. Saisissant la bride de sa monture pour retenir son attention, Espérance explique à Cœur qu'il lui faudra traverser maintes épreuves et vaincre Danger avant d'obtenir la libération de Douce-Merci. Cependant, elle lui assure que le souvenir des conseils qu'elle vient de lui donner l'aidera à mener son entreprise à bien et qu'il lui suffira de penser à elle pour surmonter ses moments de découragement.
Après les mises en garde de dame Espérance, Cœur se tourne vers Désir et lui demande de le guider. Tous deux se remettent alors en chemin, chevauchant de concert pendant plusieurs jours durant lesquels ils traversent monts et vallées. Un beau soir, à l'approche d'une sinistre forêt, alors qu'ils sont las et affamés les deux cavaliers parviennent devant un ermitage providentiel.
3 |
En réponse aux appels lancés par Désir pour signaler leur présence, alors que les deux compagnons s'attendent à voir un sage ermite venir les accueillir, telle une furie, une horrible naine aux allures de sorcière surgit de l'ermitage, leur assurant que l'ermite ne veut voir personne et leur demandant vivement de passer leur chemin.
Interrompant le récit, l'auteur nous apprend que cette naine se nomme Jalousie et qu'elle a traîtreusement ligoté et bâillonné Bel Accueil, l'accorte jouvenceau qui s'est établi en ce lieu pour renseigner et guider les soupirants en quête de leur dame, afin que ceux-ci ne s'égarent point en traversant la forêt de Longue Attente.
En réponse aux questions de Désir, la fourbe Jalousie indique aux deux cavaliers un chemin par lequel ils ne manqueront pas de trouver le manoir de Bon Repos au sein de la forêt. Suivant ce conseil et alors que la nuit tombe, Cœur et Désir tournent bride pour s'engager dans la forêt de Longue Attente. Comme de bien entendu, les informations données par Jalousie
sont fausses et les deux compagnons errent longuement dans l'obscurité avant de trouver un endroit propice pour passer la nuit.
4 |
Dans la petite clairière où il ont enfin pu s'arrêter, grâce au murmure de l'eau, Désir découvre à tatons une fontaine à laquelle est attachée par une chaîne une coupelle destinée au voyageur assoiffé. Leur soif étant grande Désir et Cœur s'emparent de la coupelle et boivent chacun leur tour.
Cœur ayant malencontreusement renversé de l'eau sur le perron de la fontaine en reposant trop brutalement la coupelle, sa maladresse déclenche aussitôt un orage gigantesque qui trempe jusqu'aux os les deux malheureux réfugiés sous un tremble.
Allongés au pied du tremble, bien que mouillés et transis, les deux compagnons sont tellement fourbus qu'ils vont malgré tout réussir à dormir jusqu'au petit matin.
Cœur ayant malencontreusement renversé de l'eau sur le perron de la fontaine en reposant trop brutalement la coupelle, sa maladresse déclenche aussitôt un orage gigantesque qui trempe jusqu'aux os les deux malheureux réfugiés sous un tremble.
Allongés au pied du tremble, bien que mouillés et transis, les deux compagnons sont tellement fourbus qu'ils vont malgré tout réussir à dormir jusqu'au petit matin.
Le soleil est déjà haut sur l'horizon, mais Désir dort encore, lorsque Cœur s'éveille et de lève. Ayant fait le tour de la fontaine, dont tous les deux ont bu l'eau dans l'obscurité de la nuit écoulée, il est en train de lire l'inscription gravée dans le marbre.
C'est une mise en garde contre la maladresse qui déclenche à coup sûr un orage lorsqu'il arrive que l'eau de la coupelle soit renversée sur le perron de cette fontaine, qui a pour nom Fontaine de Fortune. Ce qui fait sourire Cœur, ainsi que Désir qui s'est éveillé et a lu à son tour cet avis.
Poussés par la faim, les deux cavaliers se remettent en selle et
s'éloignent à vive allure dans l'espoir de trouver rapidement de quoi se sustenter. Au bout d'un moment, ils parviennent au bord d'une sombre vallée, au fond de laquelle coule un cours d'eau aussi impétueux qu'un torrent. Sur la rive se trouvant de leur côté, ils aperçoivent parmi d'épineux taillis une pauvre masure. Pensant y trouver quelque nourriture, les deux compagnons se précipitent dans sa direction.
6 |
Parvenu au niveau de la triste chaumière, en lisant le panneau accroché au pignon Désir apprend que ce logis se trouve dans le Val de Très-Profond Penser et qu'il s'agit là de la demeure de la vieille Mélancolie qui n'a jamais fait de bien à quiconque. Tenaillé par la faim, Cœur néglige le panneau et s'empresse d'entrer pour demander du pain à la vieille qui se trouve là, plongée dans ses pensées.
Sans dire un mot, et toujours perdue dans ses sombres pensées, Mélancolie se lève et sert le chevalier. En le voyant si noir et le sentant si lourd, Cœur demande à la vieille de quoi son pain est fait. Elle lui répond que c'est du grain de Dure Peine pétri à l'eau du fleuve de Larmes, celui-là même au bord duquel se trouve sa chaumière.
Après avoir mangé le pain de Mélancolie, dur à mâcher et difficile à avaler, Cœur et Désir demandent à la vieille comment ils vont pouvoir traverser le torrent. Elle s'offre alors à les guider jusqu'au pont se trouvant à quelque distance de sa demeure.
7 |
En arrivant au fleuve, Cœur s'aperçoit immédiatement qu'il y a un souci. Sur l'autre rive, se dresse un chevalier revêtu d'une armure noire monté sur un noir destrier, la lance au poing, visiblement résolu à lui barrer le chemin. Le pont étant très étroit, Cœur voit bien qu'il ne lui sera pas possible de passer sans livrer bataille.
Ici, l'auteur nous apprend que Souci est bien le nom de ce chevalier noir, dont l'écu arbore trois fleurs de souci. Posté là jour et nuit, Souci garde ce pont, baptisé Passage Périlleux en raison de son étroitesse et de sa vétusté, afin d'en interdire le passage aux amoureux en quête de leur belle.
Rassemblant tout son courage, Cœur éperonne son cheval et s'élance sur le pont. De son côté, Souci en fait autant. La joute est inévitable. Cœur heurte l'écu de Souci, mais celui-ci le désarçonne et le fait tomber à l'eau.
8 |
Interrompant une nouvelle fois le récit, l'auteur explique alors que dame Espérance, inquiète du sort des deux compagnons, s'est élancée sur leurs traces quelques temps après qu'elle les eut conseillés et qu'ils se soient quittés.
C'est ainsi qu'Espérance arrive à temps pour empêcher Cœur de se noyer. Elle l'aide à sortir du fleuve de Larmes, chose que Désir demeure impuissant à réaliser...
À SUIVRE !
La suite dans un prochain billet
en attendant je vous souhaite une bonne fin de semaine
en attendant je vous souhaite une bonne fin de semaine
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